Ce livre à pour titre :
Il a été tiré à 50 exemplaires en Juin 2000.
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I Introduction
Etre simple.
Dans le courant de l'annee 1998/99, je tentais plusieurs travaux "in situ". Le premier pris place dans le metro de Bruxelles. Il s'agissait d'un pied de nez a
l'affiche d'un creancier Bruxellois dont la phrase d'accroche etait : Besoin d'Argent ! . Celle-ci etait doublee d'une photo de mauvaise qualite montrant
l'homme d'affaire, cheque en main, plus une series d'idees suggestives sur ce qu'il etait possible d'acheter avec l'argent emprunte (!). Il etait assez
amusant de constater que cette phrase d'accroche valait aussi bien pour lui que pour le lecteur eventuel de cette affiche mediocre, a savoir que le point
d'exclamation qui la suivait laissait supposer, a la difference d'un point d'interrogation, que c'etait en effet lui qui demandait de l'argent.
Un lapsus, en somme.
Ma proposition fut la fabrication a faible cout sur mon imprimante d'autocollants voyants qui par l'intermediaire des quatre lettres "MOUR", transformait
"Besoin d'argent !" en "Besoin d'aMOUR !". Je collai durant l'annee 2000 autocollants. La trivialite de mon intervention me semblait obligatoire si je
voulais l'attention et la comprehension de l'entierete des habitues du metro. Eros est, a la difference de Thanatos, une de ces divinites populaire a laquelle
l'offrande est toujours acceptee dans la bonne humeur. Non que je cherche la facilite, mais la pretention etait ici mon ennemie directe.
Ce travail fut tres bien accueilli par la populace metropolitaine. Par la suite, je pus d'ailleurs remarquer que de nombreux autres usagers imiterent mon geste
avec un bic ou un feutre.
Toute cette periode fut pour moi le cadre d'un intense travail d'ecriture. Mon probleme etant de parvenir a "installer" l'ecriture en tant que medium dans un
lieu dedie aux arts plastiques. L'une des principales difficultes que je dus rencontrer fut la rapidite avec laquelle un tiers s'accorde sur ce qu'il trouve
bon dans un texte et sur ce qui en fait la faiblesse selon lui. J'appris a mes depens que vis a vis d'une peinture ou d'une installation, la sensibilite perceptive
du recepteur se trouve etalee sur de bien plus nombreux facteurs que vis a vis d'un ecrit, dans la mesure ou ce dernier sera souvent lu "comme dans un livre" a
quoi certains repondront a juste titre que c'est la maniere dont la chose est ecrite qui apporte la reception qu'on peut en avoir.
Alors qu'en litterature l'opinion se forge sur la pertinence abondante de 500 pages nonobstant quelques passages preferes, l'oeil du "regardeur", sera lui
beaucoup plus precisement analytique, cherchant le mot faux et se fiant rapidement a ce qu'il trouve.
Une certaine proximite de l'ecriture, sa pragmatique peut-etre, delie promptement ces langues acides dont l'art est parvenu a troubler la vehemence par sa
franchise sur l'illusion qu'il propose.
Grossierement, l'ecriture peut se retrouver en art sous deux formes principales : soit elle fait partie d'un travail dans le cas de la poesie ou d'une mise
en forme Graphique de la lettre par exemple ; soit elle est theorique ou critique sur l'art en general ou une ?uvre en particulier. Il est evident que chaque
cas de figure incite le lecteur a une attitude : quand il s'agit d'un processus creatif, celui-ci procede generalement d'une reflexion silencieuse pouvant
mener a une emotion ou au contraire a une indifference, tandis qu'un travail critique amenera a une attitude plus defensive de la part de celui-ci, prompt
qu'il sera a defendre ses idees et ses conceptions face a ce qu'il conviendrait d'appeler une prise de position. Or cette "volonte objective" que l'on
retrouve dans tout ecrit dit theorique, critique, est justement ce que l'oeuvre d'art parvient a eviter.
L'ecriture qui m'arrivait etait intermediaire : toujours influencee de theorique et cependant vouee a etre poetique. Je cherchais a atteindre cette poesie
que l'on retrouve dans certains ecrits theoriques, et a lui donner cette "ampleur d'espace" que l'on peut, elle, cotoyer lors d'une installation ou
d'une piece sonore.
Ma premiere approche visait a reflechir ce que pouvait representer l'apparition de l'informatique dans le domaine de l'ecriture. Ayant ete plusieurs fois
deconcerte de voir, apres plusieurs heures de "frappe" fievreuses, l'ecran de mon ordinateur ne temoigner plus que de deux ou trois phrases, l'entierete
du "temps de la diction" ayant "simplement" disparu sous cette touche flechee de mon clavier, je n'echappais pas a une reflexion soutenue. Que representait-il
ce "simplement" ; la disparition dans le neant du resultat qui en provenait etait-il un acte manque de la modernite ? Un de plus, diront certains. Or
pourtant je ne suis pas de ceux qui jettent la pierre au jour d'aujourd'hui ; il n'est aucune marelle ou l'on puisse avancer ce faisant.
Mais quand je relis les Correspondances de William Faulkner avec sa mere ou les Lettres a une amie venitienne de Rainer Maria Rilke, je ne peux m'empecher
de penser que les miennes, toutes futiles et ininteressantes qu'elles soient, disparaissent dans les meandres binaires d'Internet et de ses E-mail. A ceux
qui repondront a ceci que je n'ai qu'a prendre mon stylo noir et continuer de "griffonner" le papier de mes cahiers, ou que je devrais imprimer ces
brouillons que j'ecris afin de les garder comme dans ce meme cahier, je repondrai que l'erreur serait a mon avis grossiere. S'il est une chose que
l'on peut retenir de l'histoire de l'art, c'est que ce n'est pas en reproduisant d'anciennes procedures plastiques par ou avec des materiaux nouveaux
que l'homme de soupcons parvient au fleurissement de l'enigme que son temps lui propose.
Comment parlerait un Nietzsche a ceux-la, lui qui ecrivait : (...) ne semble-t-il pas qu'une seule volonte a regne sur l'Europe depuis dix-huit siecles,
et que cette volonte etait de transformer l'homme en un avorton sublime ? Mais celui qui s'approcherait avec des exigences inverses, non en epicurien, mais
arme de quelque divin marteau, du type d'homme presque volontairement abatardi et diminue que represente l'Europeen (...), cet homme n'aurait-il pas sujet
de s'ecrier, plein de fureur, de pitie et d'effroi : "Imbeciles! Imbeciles presomptueux et compatissants, qu'avez-vous fait! Etait-ce la un travail pour
vos mains? Comme vous avez abime et massacre ma plus belle pierre! Qu'en avez-vous tire?".
En architecture deja, quand ce nouveau et fabuleux materiau qu'est le beton-arme arriva sur le marche autour de 1900, il ne fut d'abord utilise que
"comme du bois". En effet, les architectes de l'epoque utiliserent dans un premier temps le beton en le coulant dans des moules pour le faire ressembler
a cette poutre en chene que l'on trouvait alors partout, et qui etait le symbole de la construction solide. C'etait bien sur aussi ce que les gens
demandaient chez eux.
Sa plus grande resistance etait pratique et permettait des portees bien plus grandes, et pourtant l'utiliser comme on l'eut fait du bois, c'etait
manquer la reelle pertinence qu'il offrait sur la construction moderne du temps a venir. C'est peut-etre ce que des architectes comme Frank Lloyd Wright
ou encore Khan au Etats-Unis comprirent avant de "realiser" et d'exploiter pour ce qu'elle etait cette pierre magique.
Tout le monde aujourd'hui considere le beton, meme si sa couleur est un Spleen ambiant, comme un materiau inevitable et globalement indispensable a la
modernite, mais je soupconne sans peine l'attitude, eventuellement inconsciente, de ceux qui se sentaient alors devolus a l'ere du chene, et qui auront
manque ce faisant, de reflechir l'une des plus importantes questions que leur temps ait rendu possible.
Or donc si ce temps me dit, aujourd'hui, par son materiau que je me dois probablement d'ecouter plus que tout autre, que de moi il ne restera rien, et
que de mon ecriture fouille-merde il ne restera rien de plus que ce qu'il reste de mon corps de sept ans, alors j'userai de la fleche de mon clavier,
archer grossier, et ferai disparaitre, aussi peu egoiste que possible, comme Kafka l'aura manque voulu a sa mort, les signes accumules de mon passage.
Cette fleche du clavier, qui se trouve a droite des lettres et pourtant les designent, inverse qu'elle est, pour le sens, a ce qu'on nomme en occident
la ligne du temps, ne resume-t-elle pas avec force discretion ce dont mon epoque souffre ?
C'est donc sur cette base que je partis. Mes brouillons furent envoles ; plus j'ecrivais, plus il y avait a disparaitre ; non sans m'etre parfois demande si ce faisant, je ne repondais pas aux caprices de l'enfant et a ce caractere torrentiel qu'a parfois l'age "cretin" comme l'aurait appele Rimbaud, lui-meme jeune et amoureux alors.
Je sombrais dans des reflexions sans fin sur ce que cela changeait d'ecrire a deux mains plutot qu'a une ou de voir que l'alphabet longiligne tel qu'on l'enseigne encore aujourd'hui dans les ecoles
ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ
devenait
AZERTYUIOP
QSDFGHJKLM
WXCVBN
Je fus frappe, entre autre, de constater que l'impression calligraphique du fruit de la reflexion rhetorique apparaissait de gauche a droite et de haut en bas
dans la culture occidentale, et de droite a gauche et de haut en bas dans d'autres cultures, tandis qu'une imprimante imprimait, elle, ligne par ligne de
haut en bas a tous les endroits du globe. Ma conclusion etant que le mode d'apparition de l'ecriture dans le cas de l'informatique etait different du mode
de lecture de l'homme, ce qui n'etait pas le cas pour l'ecriture manuelle.
Tous ces etats de faits auxquels on ne prete aucune attention, et dont, tout en supposant l'importance, je ne savais que faire.
J'explorais aussi les caracteres specifiques au langage informatique, ces symboles multiples qui offraient une poesie formelle, certes, mais pourtant porteuse :
# $ % & ( ) + @ > = : / < ; [ ^ _ ] | ~ } ? ! \ { c a o R ? o
Je tentais divers poeme en utilisant ce que je considerais comme de nouvelles lettres, reproduisant par la l'erreur dont je mets en garde le lecteur plus haut
dans ce paragraphe.
En voici un exemple, pas le meilleur, mais le seul que j'ai retrouve :
t@nchANt La eTe,
ll cd!??E e LoNg che\/eUx.
ce FRottemEnt remTL! L'AiR.
La tiEce EnTiere N'EntenT Plu? qU'll.
LegeRement tEnchee, je Vo! La
(oRse De ?on ?eiN quE E cHeveuX ?RolEnT.
QuanD !l$ S0n Lisses, ll leVE le srAs ToR le aROCher. quelqUE moU\/EmenT f!n!SseNT
De gONfleR un chiGNON.
Ave( ?e? sRas ?E$ e!N? dEScendenT.
Il? oN attAches.
Cela ne dura pas.
Je tentai ensuite de laisser a ces caracteres leurs forces suggestives propres comme dans ce cas, ressemblant a un envol d'oiseaux :
, ? , . ; , " . - : ``-fL? e h` ' -L L ~ ? ` L ~ L
Toute la beaute residait selon moi dans cette proximite avec le langage humain.
: le fait que les signes utilises avaient "deja" une signification.
Comprendre comme.
Cette langue comme en etant une autre, appelant une "troisieme oreille".
(...)Il faut faire l'epreuve de l'etranger (selon le beau titre, holderlinien, d'Antoine Berman) et, cette epreuve jamais close, la connaitre dans la langue.
Il faut des langues subir la tyrannie. Traduire en effet, ce n'est pas, comme on aimerait le croire, passer de sa langue dite maternelle , a une langue
dite etrangere pour revenir ensuite a la premiere. Cet aller et retour de touriste pourrait s'effectuer sans larmes et aussi sans l'excitation qui anime
le vrai voyageur. Le traducteur, je le vois d'abord comme un etre en souffrance : il a perdu sa langue sans en gagner une autre. Mais j'imagine aussi son
plaisir qui tient peut-etre en ceci : le langage serait assez puissant pour l'emporter sur la diversite des langues. Comment le traducteur pourrait-il garder
quelque confiance dans sa tache sans la conviction folle qu'il peut rejoindre un avant Babel ?
Mais c'est apres qu'il se situe, pas moyen pour lui de l'oublier. Car traduire est une operation qui modifie, coupe, mutile et aussi bien ajoute, greffe,
compense, qui altere par nature le tissu vivant. Le traducteur opere. Autant qufil le sache et le veuille : la restitutio ad integrum n'est pas a sa portee.
On dit que la qualite maitresse du chirurgien est, a chaque instant, la decision. Decider, le traducteur ne fait que cela : le choix des mots, l'ordre des
mots, l'agencement de la phrase, le rythme, l'accent porte sur telle conjonction, tel adjectif... Ne pas confondre une traduction soignee , medicalement
prudente (primum non nocere...) et une traduction operee, la seule a pouvoir etre operante .
Cette langue-la aurait ete "d'avant Babel".
Celle-la que tout artiste essaie de traduire, dans sa "conviction folle". Car il est evident, et je ne suis bien sur pas le premier a l'annoncer, que
l'expression de l'art se resume a une impossibilite de dire ce qui est le sujet qu'elle tente.
Or cette formule, toute vraisemblable et plaisante qu'elle soit, suppose tout de meme (ce cote pratique) qu'il y ait quelque chose qui soit dit. L'"oeuvre"
comme on appelle ce "dit". Et pourtant, de mon travail et de mes doutes, il ne restait la plupart du temps rien, c'etait cela mon oeuvre, un "rienvisible".
N'est-il pas celui-la, l'artiste, qui (...) se voit allant de compromis en compromis, d'a-peu-pres en a-peu-pres, et n'a pas d'autre choix. (...) Le traducteur
sait qu'au compromis qu'il a adopte on peut en opposer un autre, qu'il aura peut-etre envisage lui-meme puis ecarter. Le traducteur doit etre doue d'une
capacite infinie a etre triste : il n'a pas le droit de jouer de ses mots a lui, il n'a pas le pouvoir de restituer les mots de l'autre . L'Autre ? Dieu.
: (deux points) seins
| (barre de valeur absolue) la femme
/ (barre de fraction) lfhomme
etc...
C'est peut-etre dans cet etat d'esprit, qu'apres avoir reinvente partiellement un alphabet inexistant, dont le symbole 8 aurait ete le mot "yeux"
et *symbole* le mot "l'amour", ou ;. aurait designe le sexe de l'homme et )!( le sexe de la femme ; continuant neanmoins d'etre un point virgule
et un point d'exclamation mettant entre parenthese ce qui peut bien avoir du sens encore, je m'arretai pour travailler sur le projet d'un livre.
Celui-ci aurait ete absent de ponctuation afin de couper le souffle d'un lecteur potentiel et aurait utilise de nombreux artifices pour ne pas pouvoir
etre lu a voix haute sans que l'auditeur ne comprenne ce qui etait lu d'une maniere differente de ce que le lecteur le lui laissait entendre. Cela en
jouant sur des mots qui auraient eu phonetiquement un sens different mais dont l'ecriture aurait ete identique ou inversement ( sein / saint ), le sens
de la phrase lue changeant alors en fonction de ce que les yeux du lecteur obtenaient comme informations que l'oreille de l'auditeur, elle, n'obtenait pas.
Ce livre, je le pensais pouvoir etre ecrit d'une entre-langue ; sa poesie aurait ete infinie ; peut-etre ne me suis-je jamais mis a l'ecrire par peur.
C'est en tout cas l'idee que j'en ai aujourd'hui.
Un autre artifice que je comptais utiliser consistait a melanger des mots entre eux par les phonemes qu'ils avaient en commun.
SODOMESTIQUERIRISER
TUMESCENSATION
ONCTUEUX
ALLEGORIENCAGERMESURE
Dans ce dernier exemple, les mots suivant peuvent etre retrouve :
allegorie
rien
encager
cage
germe
mesure
L'oeil percoit par ce biais un nombre d'informations supplementaires, laissant des mots enfuis refaire surface ; ce qui se retrouvera traduit en marge d'un
de mes carnets par la phrase : Les yeux ecouteront ce que les oreilles n'entendent pas . Une valeur subliminale en quelque sorte, qui n'est cependant
jamais completement ecartee d'un texte si l'on considere une phrase en terme de chaine signifiante, chaque mot renvoyant, par lui-meme deja, a d'autres.
Comme chaque fois je tentais la poesie :
Detenumerobuste
Surhumaintenant
Dansantemeraire
Survivantard,
Illimitetard
Plupartantot
Desaveuvage
Evadepluvieux,
Carencensurenchere
Je fis aussi cet essai parmi d'autres de taper des ensembles de lettres aleatoires sur mon clavier, sans le regarder, et de demander ensuite au programme
"correcteur d'orthographe" de corriger ce qui se retrouvait ecrit.
J'eus le projet, abandonne comme souvent, de faire un travail similaire avec un programme de reconnaissance optique de caractere, qui a la base fut invente
pour traduire un ecrit informatique de mauvaise qualite (fax), en un fichier comprehensible par un logiciel de traitement de texte afin de ne pas devoir
le reecrire. Ce programme, apres que l'on ait "scanne" un ecrit, essayait de retrouver l'empreinte des lettres cursives sur le document ; mon but etant d'utiliser
cette propriete afin d'amener des mots que l'on n'observait pas dans le texte original a etre decouvert.
Etait egalement prevue une tentative partant du son, avec un programme de reconnaissance vocale, qui suit la meme logique, mais depuis une base sonore.
Pour ce qui est du correcteur orthographique je me livre a l'exercice a titre d'exemple :
Ifhr lieu oigy gfd goih vnb,
Irgiue kjfb iur zeuy iyaef
Kb oidf protj r irt nbpotj
Kjzb urhg nlk, hvf qvxc auzt
Uyer poifglkjh bezif ouf pigpi
Devenait (les mots soulignes etant les premiers mots existants proposes par l'ordinateur en fonction de son moteur de recherche) :
Ifs lieu oignon g gui v,
Irriguer kjfb iule zeugma iyaef
KGB pif proton r rit nbpotj
Kjzb urge n, h va au
Ur poifglkjh bec ou'pigne
Cela rejoint peut-etre ce qu'il y a de fascinant a prendre son dictionnaire, a se rendre a la page d'un mot dont on procede regulierement, et a voir les autres
mots commencant par les memes lettres, lie et delie celui du depart en une metaphore poetique reelle autant que factice.
Par ces textes amenant des mots de nulle part, frontiere de Moi dans la mesure ou j'en etais tout autant l'auteur que la machine pouvait l'etre, comme ces
taches que l'on trouverait belles en amont de leur interpretation et dont le hasard serait le partenaire de creation, je me laissais charmer par des mecanismes
et ainsi, perdis beaucoup de temps. Car fascinante et magnifique d'inutilite etait ma demarche sans doute. Mais c'est bien la la gloire de mon activite, meme si
certains jours,
Toutefois, n'ayant jamais vraiment compris le fondement de ce qu'on appelle l'ecriture automatique, n'y voyant qu'un exotisme d'ecriture qui s'il peut saouler
certains par la perte de reperes qu'il induit chez eux ne releve cependant pas de cette puissance reellement perturbatrice qu'est l'inspiration et m'avisant que,
ce faisant, ces derniers manquaient d'affronter ce qui fait vraiment l'ecriture, je decidais une fois de plus de ne pas poursuivre.
Force me fut de constater que toute inspiration, meme faible et inutile, meme deconstructive ou maladive, valait infiniment plus a mes yeux que n'importe quel
jeu narratif, meme intelligent.
De toute cette ecriture disparue, je restais avec deux petites sculptures et un )livre((lien) dont je ne suis pas sur de la qualite.
La premiere, Anagramme en hommage a Marcel Duchamp etait composee de "quatre touches sur une barre d'espacement"***.
Sans doute parle-t-elle du conflit que representait, et qui a bien des egards represente encore, pour moi non pas la presence mais le pouvoir de l'argent dans la
machine artistique, un peu trop bien huilee parfois a mon gout.
"Aurais-je assez d'ingeniosite que pour me faire une place dans cette melee sans utiliser la force qu'ils utilisent presque tous, avais-je a le faire au nom d'une
perseverance, garante de mon determinisme, ou au contraire a ne pas le faire au nom d'une liberte, caution d'un affranchissement vis-a-vis de cette meme machine".
Voulais-je le faire ?
Tel etait mon conflit.
De nombreux autres eleves furent surement dans mon cas, or pourtant peu s'en plaignirent. Je n'ose les admirer pour cela.
La deuxieme n'eut pas de titre. C'etait un cylindre en bois entoure de feuilles blanches au format A5, le tout maintenu par un pied en aluminium.
Le livre pour sa part, etait un recueil des principaux textes que j'ecrivis durant cette periode, issus des questions que je me posais alors sur l'absolu de l'art,
le comment de l'artiste, sa limite s'il en est une, son meurtre s'il en est un...
Il commencait par une liste de tous les symboles pouvant etre ecrit alors par l'ordinateur que je possedais avec le programme WordPerfect 5.1 et de leurs
definitions respectives. Dans cette liste se trouvait, quelque part dans l'une des milliards de milliards de possibilites de l'arrangement de ses signes, ce texte
absolu que tout ecrivain, tout poete, tout auteur tente d'atteindre. J'etais fascine par ce fichier comme un sculpteur aurait pu l'etre par le morceau de granit brut
qu'il a devant lui, promesse presente, plus presente que lui, mais plus vraiment un amont du fait de l'aval qu'il y projetait deja.
La page blanche et son mystere, inverse.
C'est ainsi que je la mis au debut de tout, et nommais cette liste : la casse potentielle. Je souligne qu'une subtile poesie emergeait de ces symboles jouxtes de leurs
definitions. Deja la poesie.
Ce livre etait ecrit en grosses lettres afin que ma grand-mere puisse le lire sans peine ; cette vieille dame a la vue flanchante etant alors, malgre la complexite
naive de mon ecriture, ma lectrice la plus fervente.
I Introduction
C'est egalement durant cette periode que je fis deux installations dans d'anciennes usines. Travailler dans ces lieux "desaffectes" me semblait avoir infiniment de sens.
Ces deux travaux suivirent un troisieme, plus long, consistant a exploiter habiter l'espace par l'ecriture : utilisant de la craie, materiau peu couteux, j'ecrivais sur
le sol dans des espaces publics. Generalement, dans le sens inverse de la marche des passants, et allant d'un mur a un autre mur, afin de forcer ceux-ci a une attitude,
aussi passive fut-elle.
La tentative de ce travail etait d'amener le passant a un conflit : soit continuer sa marche telle que l'habitude le lui suggerait, soit prendre le risque, car c'en est
toujours un, de modifier l'attitude qu'il se proposait de suivre avant d'entrer en contact avec le travail. Ensuite, le maintenir le plus longtemps possible sur cette
continuelle incertitude de ne pas savoir si ce qu'il faisait alors l'interessait vraiment, ou s'il perdait son temps ; si ce qu'il lisait l'interessait ou si cela
n'avait aucun interet pour lui. Le travail etant reussi s'il restait dans cette incertitude un temps suffisant que pour qu'il se rende compte du processus dont il
etait l'hote, ou tout du moins de son hesitation.
Je repris ce concept sur les plages de la mer du Nord : ecrivant du bout du doigt sur le sable, le long de la mer, la ou tous les marcheurs se retrouvent. Je faisais a
nouveau en sorte que mon ecriture s'eloigne petit a petit du ressac de maniere a opposer a mon lecteur eventuel cette indecision : soit ne pas lire cette ecriture qui
s'offrait pourtant a sa curiosite, soit la lire mais s'eloigner, ce faisant, du cours de la promenade qu'il s'etait propose de suivre au depart. Dans ce cas, il
finissait par se rendre compte du fait que l'ecriture l'amenait a s'eloigner du cheminement qu'il avait prevu, le laissant dans un conflit d'interet.
J'ecrivais pour ce faire toujours en grandes lettres manuscrites, lisibles, des phrases qui me venaient sur le lieu ou je me trouvais. Je pus remarquer qu'elles
etaient souvent de nature poetique.
L'ecriture etait par ailleurs destinee a disparaitre, la craie s'effacant, et la marree montante engloutissant le tout.
Reste a signaler que le passant laissait toujours la trace de son hesitation, ou tout du moins de son passage, car dans le premier cas, la craie collant a ses
semelles, il decrivait une piste montrant le chemin qu'il avait emprunte, tandis que dans le cas de la plage, c'etait ses empreintes dans le sable qui remplissaient
la meme fonction.
La premiere de ces deux installations "desaffectees" prit place dans une ancienne usine de cosmetique face au Canal a Bruxelles, a deux pas de Canal 20. Cette usine
avait brule quelques annees auparavant, et allait etre renovee prochainement. C'est precisement a l'etage ou le feu avait pris que je me mis a travailler, assemblant
des elements que je trouvai sur le site meme, essentiellement des cartons publicitaires blancs, des tubes en cartons rouges emboitables et des centaines de flacons
d'une creme ignifuge.
Je travaillai dans ce lieu mort pendant deux semaines, heureux comme jamais je ne l'avais encore ete depuis mon retour d'Afrique, a part a l'une ou l'autres occasions,
quand l'ecriture d'un texte me laissait quelques elements de satisfaction.
J'essaierai ici d'etre franc : j'eus pour la premiere fois le sentiment, a ce moment, d'etre utile au monde entier en faisant ce que je faisais.
Sur la musique de Penderecki, j'assemblais les cartons blancs sous la forme de constructions similaires a des chateaux de cartes. L'espace devait faire quinze metres
sur trente et etait tres sombre du fait de la suie. Je tentais de decouper la lumiere en provenance des rares fenetres et de la renvoyer entre les panneaux, la
reflechissant.
La grande humidite ambiante "travaillait" le carton, celui-ci s'affaissait en laissant filer un leger feulement, de sorte que, dans le silence du batiment, cette piece
semblait vivante, comme recueillant un monstre endormi. Chaque rayon de soleil, passant par les vitres sales et venant chauffer l'atmosphere, semblait tordre la piece.
Un rayon la faisait respirer en entier.
Avec les flacons, je construisis un "faux" domino, celui-ci etait faux dans la mesure ou ces bouteilles etaient rondes et pouvaient tomber dans n'importe quel sens,
interrompant la chute presupposee par la disposition globale.
: reminiscences.
Ce travail etait issu d'un projet collectif ; l'exposition prevue sur le site ne du jamais avoir lieu du fait d'un probleme d'assurance et de prise de responsabilite.
L'acte etait manque.
S'imposait a moi l'observation suivante : mon activite avait une preponderance a l'evanouissement et au sous-jacent. Tendance que je decidais de respecter par la suite
a travers l'ensemble de ma pratique, y voyant l'etant de l'art tente.
La deuxieme installation, je la realisai dans une ancienne usine de papier peint a Genval.
Cette proposition coincidait, pour les dates, avec la guerre en Europe de l'Est.
J'ecrivis : 25 Avril 1999, la guerre est proche de nous. Les ouvriers d'une grande usine disparaissent pour cause de restructuration, routine capitaliste : la
peine, Capital de cette societe qui envoie sans preavis ces ouvriers abattus sur les routes de l'embauche .
Il s'agissait a nouveau d'une realisation a la craie.
Le batiment devait etre detruit peu apres.
I Introduction
L'individualite fut toujours mon lieu de predilection.
Je rencontrai un homme de l'age de mon pere qui avait le meme nom et le meme prenom que moi. Suite a cette decouverte fortuite, il s'avera que l'homme habitait au meme
numero que moi dans sa rue, avait le meme code postal, habitait dans la meme commune donc ; qu'il faisait de reguliers sejours en Afrique pour ses affaires.
Nous echangeames quelques lettres apres que je lui ai signale notre proximite.
A travers ce qu'il pouvait y avoir de foncierement alienant a connaitre l'existence d'un tel individu,
Dans le livre que j'avais ecrit l'annee precedente, j'evoquais le choc de mon arrivee en Belgique comme une Mort, ouverture a une Conscience, pre requis de l'inspiration
possible par le Vide qu'elle laissait.
L'inspiration et l'expiration, les deux poles du souffle de l'Art.
Mon projet etait d'importer, depuis Guelma en Algerie (lieu de ma naissance), du marbre rose, et cela pour un poids equivalant a celui que j'avais a mon
arrivee en Belgique.
Un certificat medical, datant du 4 Fevrier 1988, attestait d'un poids de 35,2Kg pour une taille de 1,48m.
Mon souhait etait de rencontrer cet homonyme et de lui proposer de financer l'importation de ce marbre afin qu'il puisse servir lors de son enterrement.
De nombreux Europeens, a l'aube de la retraite, pensaient en effet a acheter tot leur pierre tombale ou socle funeraire.
Le travail aurait resulte en un acte notarie indiquant que Eric Van Hove acceptait de se faire enterrer au moyen des 35,2kg de marbre rose.
I Introduction
Le principal projet sur lequel je me mis a travailler durant l'annee 1999/2000 fut celui d'une commande adressee a quelques etudiants pour une intervention collective
dans une clinique de jour.
La Clinique Antoine Depage, situee pres de la porte de Hal a Bruxelles, etait un vieux batiment Art-deco construit dans les annees 20 pour la famille Solvay.
A vocation medicale depuis 70 ans, celle-ci venait de subir d'importantes transformations au niveau du rez-de-chaussee et du premier etage, qui en devenait pour
ainsi dire moderne, alors que les etages superieurs, etant sans doute moins regulierement frequentes, n'avaient ete que partiellement renoves.
Une petite dizaine d'etudiants avaient ete selectionnes pour travailler dans ce lieu.
Je commencais par demander au directeur de la clinique a pouvoir passer differents examens medicaux, a commencer par une scintigraphie.
La question que je posais alors systematiquement au medecin charge de cette operation n'etait pas sans ironie : trouver chez Moi la maladie de l'artiste.
Considerer la scintigraphie ou le scanner en tant que photographie me semblait interessant : l'objectif percant le sujet de sa focalise, et ne rendant visible que
les maux de celui-ci sans toutefois qu'ils se fassent visibles par eux-memes. Seul ce qui etait maladif emergeait de ces cliches, dont la lumiere n'etait pas la source de la vision, role confie plutot a l'invisible emission du nucleaire.
Alors que l'oeil photographique, sur la surface photosensible qui fixait ensuite cette empreinte, voyait plus que ce que l'art pouvait reproduire, l'oeil
scintigraphique voyait-il, lui, au travers de la lumiere ? Au dela d'elle ?
Apres la chambre claire, la chambre lucide.
Sans entrer dans le debat de savoir s'il s'agissait pour l'artiste de "fixer" ou non les choses, comme Rodin l'aura fait a l'heure ou la photographie
revolutionnait : "(...) C'est l'artiste qui est veridique et c'est la photo qui est menteuse, car, dans la realite, le temps ne s'arrete pas", je m'interrogeais,
en tout sens, sur cette reflexion de Merleau-Ponty : la peinture ne cherche pas le dehors du temps, mais ses chiffres secrets .
Ces chiffres-la ; la bonne mesure de Son intention ?
Il s'agissait vraisemblablement d'un regard narcissique, que l'hesitation neanmoins, mettait en garde d'admettre.
Mon but second fut d'obtenir trois examens ciblant ma rate, cet organe etant la cause, dans la theorie des quatre humeurs, de la melancolie, elle-meme supposee etre
au moyen age au fondement de l'inspiration artistique.
Je ne fus a meme de realiser que deux de ceux-ci, une scintigraphie et un scanner, n'ayant trouve aucun medecin acceptant de pratiquer le troisieme que je projetais :
une echographie. Comme je le fais remarquer dans le texte qui precede, la deontologie medicale avait toutes les raisons de s'opposer a mes procedures.
J'eprouvai, au cours des mois qui suivirent, envers ce qu'il conviendrait d'appeler des "brouillons" issus d'une intuition premiere, une graduelle perte de confiance.
Leur pertinence reelle m'echappait de plus en plus. Je me fatiguais lentement de leur aspect solennel et m'en ennuyais sans toutefois parvenir a les ecarter franchement.
Aucun autre etudiant ne le travaillant, le projet fut bientot arrete.
Acte manque.
Je pus remarquer qu'a force de considerer le travail des autres et le peu de place disponible dans le batiment, j'avais coince sans m'en rendre compte mes investigations.
Les idees qui me parvenaient etaient etroites et suffocantes.
Des que le projet s'arreta et que je pu sans pretention me considerer seul dans cet espace, tout inaccessible qu'il etait alors, les choses retrouverent leur envergure.
Redefinissant mon projet j'entrepris diverses investigations sur les lieux.
J'appris que durant la deuxieme guerre mondiale la grande cave de cette clinique, dont les plafonds etaient tres hauts, avait abrite des etudiants juifs en medecine,
et qu'elle avait alors ete renommee d'un nom lourd de sens : La Cathedrale.
Ayant remarque que vers midi trente, les rayons du soleil, traversaient une grande fenetre d'allure gothique au premier etage, et venaient eclairer l'accueil du
rez-de-chaussee, je projetais d'y construire un vitrail fait de bouteilles de verre de couleur recuperees exclusivement en dechetteries.
Celui-ci avait de plus la fonction soupconnee de recevoir "l'aval emotif" du patient qui l'observait, son esthetique etant davantage populaire, et d'adoucir ainsi le regard qu'il porterait sur ma seconde intervention, plus "difficile" pour sa part.
Situee dans les salles d'attentes des deux premiers etages, qui etaient au nombre de trois, il s'agissait de l'ecriture au marqueur noir sur les murs de phrases ecrite
en francais evoquant la situation d'attente dans laquelle se trouvait le patient. Ces phrases s'appuyaient sur des anecdotes de l'histoire de l'art et de la medecine.
L'utilisation de feutres "indelebile" noirs, plutot que de l'encre ou de la peinture, me paru se justifier par son faible cout, son surnom evocateur et son evident
rapport a la modernite.
Je pris egalement contact avec une etudiante en musicotherapie afin de developper, parallelement a mes travaux, une etude sonore des lieux. En effet, malgre un materiel
imposant devolu a cet effet, personne n'etait charge de ce detail.
I Introduction
Au debut du printemps, je me rendis sur une petite place ou etait erige un monument aux morts de la derniere guerre. C'etait une statue monumentale en bronze
personnifiant la victoire et la bravoure. La memoire.
Sur cette aire de quelques dizaines de metres carres au plus, j apportai une table dans le milieu de la matinee. L air etait frais ; un petit vent.
Je la disposai pres du monument, de cote, tourne vers lui, et entrepris une Reussite avec un jeu de carte.
Derriere moi, sur le mur, un ecriteau publique mentionnait : "Interdit de jouer".
I Introduction
Marchant regulierement.
Pres de chez moi, une route de paves au milieu des champs attirait tout particulierement mon attention : chaque fois que j'y marchais m'envahissait le sentiment
d'une experience vecue depuis longtemps, et cela sans que je fus a meme de me l'expliquer.
Il s'agissait d'un chemin bossele longeant un lotissement minable du Brabant Wallon. Il se dirigeait vers un arbre solitaire abritant une chapelle comme on en
rencontre parfois dans ces campagnes.
Suivant les habitations sur une cinquantaine de metres, il s'eloignait ensuite seul sur cents metres environ avant de rejoindre l'arbre.
C'est toujours dans ce sens que je me dirigeais ; sans raisons particulieres.
Ayant de plus en plus d'affinites avec ce lieu, je finis par regarder sur une carte le trajet que j'empruntais afin d'observer la disposition des courbes de niveaux.
Je pensais, en effet, que l'une des raisons possibles de mon emotion pouvait etre une question d'altitude : etre en hauteur m'aurait amene a cette etrange impression
de sentir l'amplitude de mon champ de vision depasser cent quatre-vingts degres, limite formee habituellement par la ligne de l'horizon. En aurait resulte un
accroissement de la luminosite, ce qui pouvait etre l'une des raisons expliquant ce sentiment qui m'arrivait alors, dans la mesure ou le ciel d'Afrique que j'avais connu,
penetre par les rayons du soleil de facon perpendiculaire, regorgeait de plus de lumiere qu'aux endroits du globe eloigne de l'Equateur.
Alors que j'observais les cartes, mon attention fut attiree par les mots qui s'y trouvaient annotes : du fait de la disposition de la carte, ils semblaient comme
ecrits directement sur le sol qu'elles dessinaient.
Si cela m'interessait, c'etait je suppose pour le renvoi a mon travail d'ecriture ; ces cartes, poemes de voyages, jouaient de mots et de lignes.
C'est alors que je remarquai, derriere l'arbre dont je parle plus tot, l'existence d'une grande flaque portant le nom suivant : "flot de la malaise".
J'en fus
ce n'etait pas tout
Ecrit en 2000
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